Mégare et l’Italie

En 1991, un colloque d’historiens et politologues européens et américains sur la “rivalité hégémonique entre Athènes et Sparte et entre Etats-Unis et Union Soviétique” fut publié sous le titre From Thucydides to the Nuclear Age. Thucydide, l’historien de cette “guerre mondiale de l’antiquité” qui a été la guerre du Péloponnèse, est un auteur particulièrement apprécié dans certains milieux politico-intellectuels atlantistes, qui ont essayé de faire de lui le témoin du bipolarisme et de la confrontation entre deux blocs militaires.

La philologie classique, à partir de Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff (1) a souvent reproché à Thucydide de laisser dans l’ombre le blocus commercial imposé à Mégare par la thalassocratie athénienne en voulant attribuer à Sparte les causes du conflit.

Et pourtant la guerre du Péloponnèse commença précisément par le décret contre les Mégariens du 432 av. J. – C. (le Mégaréon pséphisma), une série de sanctions économiques qui interdisaient aux Mégariens l’accès aux ports, aux mouillages et aux marchés de la Ligue de Délos, c’est à dire de l’alliance hégémonisée par les Athéniens.

Pour les historiens il est évident que les sanctions contre Mégare n’étaient pas seulement un moyen pour affaiblir les rivaux et étendre son influence. Helmut Berve, par exemple, a dit qu’avec l’embargo, qui a également affecté les alliés de Mégare, Athènes “mettait le couteau sur la gorge des Péloponnésiens” (2). En effet, le décret d’embargo était un défi, une provocation qui devait procurer à Athènes le casus belli nécessaire pour justifier le déclenchement d’une guerre contre Sparte et les Péloponnésiens. Toutefois, comme on sait, la guerre termina, trente ans après, par la défaite d’Athènes et le renversement de sa démocratie.

Un autre épisode exemplaire dans l’histoire des sanctions: le 18 novembre 1935, pour la première fois, la Société des Nations décréta les sanctions économiques contre un pays membre, c’est à dire contre l’Italie, comme réponse à la campagne d’Ethiopie. Le pays anticolonialiste par excellence, l’Angleterre, envoya la Home Fleet à patrouiller la Méditerranée pour faire respecter l’embargo.

Quelques ans après, Carl Schmitt commentait: “Les puissances sociétaires ne faisaient pas la guerre, mais elles imposaient des sanctions. Le fameux art anglais des ‘méthodes indirectes’ célébra un nouveau triomphe. La typique distinction entre opérations militaires et opérations non militaires, actions belliques et actions pacifiques, perdit toute sa signification, parce que les actions non militaires pouvaient être hostiles dans une façon plus efficace, immédiate et intense” (3).

D’ailleurs le fondateur même de la Société des Nations, le président nordaméricain Thomas Woodrow Wilson, avait théorisé: “Une nation boycottée finit par céder. Appliquant ce remède économique-pacifique, silentieux mais mortel, on évite d’avoir recours à la force” (4).

Evidemment l’Angleterre avait bien appri la leçon synthétisée dans le célèbre axiome de Sir Walter Raleigh: “Qui maîtrise la mer maîtrise le commerce du monde et à celui qui maîtrise le commerce du monde appartiennent tous les trésors du monde et le monde même”.  

Il semble que les puissances thalassocratiques privilègent les sanctions comme formes spéciales de guerre et les utilisent dans le cadre d’une conception générale de la guerre et de l’ennemi; mais une conception très différente de celle qu’on trouve à la base du jus publicum Europaeum, parce qu’elle ignore la distinction entre combattants et non-combattants.

“La guerre maritime – écrit Carl Schmitt – n’est pas une guerre de combattants; elle se base sur une conception totale de l’ennemi, laquelle considère ennemis non seulement tous les citoyens de l’Etat ennemi mais aussi tous ceux qui commercent avec l’ennemi et supportent son économie. Dans cette guerre il est permis, sans contestation possible, que la propriété privée de l’ennemi soit soumise au droit de pillage; le blocus, moyen qui appartient spécifiquement au droit maritime reconnu par le droit international, frappera sans exception l’ensemble de la population des régions concernées. Grâce à un autre moyen également reconnu par le droit international et également appartenant au droit maritime, le droit de pillage, aussi la propriété privée des neutres pourra être saisie” (5).

En 1946, par exemple, les Etats Unis ont prétendu que la Confédération Helvétique consigne les avoirs des citoyens allemands déposés dans les banques suisses, prétention contraire à l’ordre juridique privé international (6), mais conforme au droit de butin spécifique du droit maritime.

 

 

Les sanctions selon la doctrine des relations internationales

Selon la doctrine des relations internationales, les sanctions économiques sont des dispositions adoptées par un Etat, ou par une coalition d’Etats, ou encore par une organisation internationale, dans le but de contraindre un Etat à respecter les règles de la coexistence internationale, sans faire recours aux armes.

Dans le texte de Martin I. Glassner sur les relations internationales on peut lire que “des sanctions spéciales, imposées dans des circonstances particulières et respectées efficacement, peuvent modifier le comportement de l’Etat sanctionné, tout en renforçant le prestige du sanctionneur. Toutefois, Il existe peu de preuves démontrant que les sanctions puissent à elles seules effrayer un Etat qui ne soit pas très petit et faible ” (7).

Les sanctions économiques les plus communes sont les suivantes:

1) l’embargo

2) le boycottage

3) la congélation des biens et des capitaux que l’Etat sanctionné ou ses citoyens possèdent à l’exterieur

4) la défense de donner des créances

5) la défense de transaction financière

6) l’interdiction de faire éscale pour les navires et les avions de l’Etat sanctionné

7) la révocation de l’assistance financière et technique

 

L’embargo, en particulier, est l’ordre donné à un navire marchand de ne pas lever l’ancre du port où il se trouve ou bien de ne pas accoster. Dans une acception plus large l’embargo est le blocus des échanges commerciaux décidé par un pays ou bien plusieurs pays à l’égard d’un autre pays.

Le boycottage – comme aussi le blocus – est un ensemble de mesures qui visent à bloquer le commerce extérieur et les communications d’un pays ennemi. En particulier, le boycottage consiste dans la défense d’acheter des biens provenant du pays qui fait l’objet de la sanction.

Embargo et boycottage sont considérés par l’O.N.U. comme des sanctions pacifiques à appliquer contre les Etats qui violent le droit international ou ne respectent les droits de l’homme.

En réalité, comme affirment les colonels chinois Qiao Liang et Wang Xiangsui dans leur fameux livre sur “la guerre sans limites”, “L’imposition d’embargos sur les exportations de technologies fondamentales (…) peut avoir un effet destructif égal à celui d’une opération militaire. A cet égard, – ils rappellent – l’embargo total contre l’Irak est un exemple classique de manuel” (8).

 

 

La “guerre économique” et ses buts

Un autre militaire chargé de cours de stratégie, le général italien Carlo Jean, déjà il y a dix-huit ans annonçait l’intensification de l’emploi des armes économiques, comme l’embargo et les autres sanctions, pour la réalisation des mêmes buts qui ont été poursuivis par la guerre traditionnelle.

En effet, la guerre “économique” est une vraie guerre, puisque son but stratégique est la victoire sur l’ennemi, c’est à dire l’assujettissement du vaincu à la volonté du vainqueur, exactement comme dans la guerre proprement dite.

D’ailleurs le général Jean expliquait comme dans ce contexte les moyens d’ordre économique ne sont pas employés pour la production ou pour le commerce, mais exactement comme des armes, pour obtenir des buts analogues aux buts poursuivis par la force militaire, c’est à dire, “pour détruire la volonté de résistance de l’adversaire (par exemple en le privant de ses capacités militaires, en provocant graves dommages à sa base productive, famines, épidémies, révoltes, changement de classe dirigéante ou de gouvernement, coups d’Etat, sécessions etc.)” (9).

Ainsi le même auteur définissait l'”arme économique” comme le moyen que les Etats ou les coalitions d’Etats “peuvent licitement employer pour le contrôle de l’économie nationale ou internationale, si cet emploi vise à obtenir des buts analogues à ceux qu’on pourrait poursuivre par la force militaire, en particulier la victoire sur un Etat ou bien sur une coalition adversaire” (10).

Il observait également que “dans l’ordre international ce principe protège les puissances économiquement prédominantes et favorise le maintien du statu quo” (11), ainsi qu’il pouvait conclure affirmant: “Il est donc normal que ce principe ait été soutenu et imposé par l’Occident, qui dans la phase historique actuelle jouit d’une écrasante suprématie économique sur le reste du monde” (12).

On a dit aussi que le concept de guerre économique est ambigu et multiforme, parce qu’il s’agit d’une guerre qui peut poursuivre des buts différents: économiques, stratégiques ou politiques (13).

La guerre économique poursuit des buts économiques quand l’Etat n’a pas comme but essentiel l’endommagement de l’adversaire, mais il vise à accroître le bien-être de ses citoyens ou bien sa richesse, par exemple recourant à pratiques commerciales illégitimes.

La guerre économique poursuit des buts stratégiques si, dans une conflit militaire, elle vise à priver l’ennemi des ravitaillements nécessaires aux Forces Armées et à la population par blocs navaux, aériens ou terrestres. Mais on poursuit un but stratégique aussi quand, en absence d’un conflit militaire direct, on vise à interdire à un Etat adversaire produits et technologies considérés comme “critiques”.

Enfin, la guerre économique poursuit des buts politiques, si l’arme économique est employée pour pousser un Etat à accepter la volonté de celui qui la employe, exactement comme dans les formules clausewitziennes: “continuation de la politique de l’Etat par d’autres moyens”, “act de violence ayant le but d’obliger l’adversaire à se soumettre à notre volonté”, “act inspiré par un dessein politique”.

Dans le cas de la République Islamique de l’Iran, le but de la guerre économique est sûrement stratégique, puisque l’objectif déclaré des sanctions est celui de bloquer l’acquisition d’uranium et des technologies utiles pour le programme nucléaire.

Mais, pour ce qui est des sanctions unilaterales imposées par les Etats Unis d’Amérique, le but est aussi et surtout politique, voire même géopolitique, étant donnée la nécessité de la thalassocratie nordaméricaine de contrôler le Rimland de la géopolitique spykmanienne, dont l’Iran constitue précisément un segment central.

En effet, si Sir Halford Mackinder avait formulé la doctrine selon laquelle qui contrôle le Heartland gouverne le monde, Nicholas J. Spykman a énoncé la thèse complementaire: “Who controls the Rimland rules Eurasia; who rules Eurasia controls the destinies of the world“.

 

 

 

1. Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff, Curae Thucydideae, 1885, p. 17.

2. Helmut Berve, Griechische Geschichte, II 1952, p. 11.

3. Carl Schmitt, Inter pacem et bellum nihil medium, “Zeitschrift der Akademie für Deutsches Recht”, VI, 1939, pp. 594-595.

4. Cité par P. M. Gallois, Le sang du pétrole – Irak, L’Age d’Homme, Lausanne 1966, p. 31.

5. Carl Schmitt, Souveraineté de l’Etat et liberté des mers, in Du Politique, Pardès, 1990, pp. 150-151; cfr. Idem, Terra e mare, Adelphi, Milano p. 90.

6. “Neue Zürcher Zeitung”, 14 Sept. 1996.

7. M. I. Glassner, Manuale di geografia politica II. Geografia delle relazioni tra gli Stati, Franco Angeli, Milano 1995, p. 36.

8. Qiao Liang – Wang Xiangsui, Guerra senza limiti, LEG, Pordenone 2001, p. 81.

9. Carlo Jean, Geopolitica, Laterza, Bari 1995, p. 140.

10. Carlo Jean, Geopolitica, cit., p. 141.

11. Ibidem.

12. Ibidem.

13. Claude Lachaux, La guerre économique: un concept ambigu, “Problèmes Economiques”, 14 oct. 1992, pp. 28-31.

 


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