La Géorgie : de Jason à Gamsakhourdia

La Géorgie a fait partie de la Russie jusqu’en 1991 où, renaissant des cendres de l’Union Soviétique, elle est devenue une nation indépendante. A l’origine, dans cette zone du Caucase occidental, différents pays coexistaient, dont le plus important était le Royaume de Colchide donnant sur la mer Noire et bien connu des Grecs anciens : en effet, selon la mythologie, c’est ici que Jason et les Argonautes trouvèrent la Toison d’or avec l’aide de Médée, princesse du pays.

D’autre part, la partie la plus montagneuse à l’est et au sud de la Géorgie appartenait au Royaume de Kartli (connu des Grecs et des Romains sous le nom de “Iberia”).

Ces deux royaumes ont été les premiers à adopter le christianisme comme religion officielle, dès le début du 4ème siècle. Après avoir été conquise par Rome en 66 avant JC et dirigée d’abord par les Romains puis par les Byzantins pendant presque un demi-millénaire, la Géorgie d’aujourd’hui était alors un champ de bataille durant les guerres entre les Byzantins et les Perses : cette situation a eu un rôle dans la désintégration politique du pays qui, au 7ème siècle, devint une proie facile pour l’expansion arabe. Au 11ème siècle, le pays réussit à se débarrasser du pouvoir arabe et, pour la première fois, il se retrouva uni en un seul royaume, la Géorgie, et commença à s’étendre dans tout le Caucase en repoussant les Turcs seldjoukides.

Déjà au 13ème siècle, la Géorgie capitula trop rapidement devant la progression implacable des Mongols et elle commença à se morceler en plusieurs petits États, dont certains furent plus tard annexés à l’Empire Ottoman tandis que d’autres furent rattachés à l’Empire Perse.

Ce n’est qu’à partir de 1762 que le pays retrouva son indépendance : la partie orientale fut réunifiée sous Héraclius (Irakli) II dans le Royaume de Kartlie-Kakhétie.

En 1793, ce royaume conclut un Traité d’amitié avec l’empire russe, et devient alors un protectorat de la Russie, le Tsar étant reconnu comme le dirigeant légitime de la Géorgie Orientale (laquelle conserva cependant son autonomie dans sa politique intérieure).
En 1783 ce royaume signa avec l’Empire russe le Traité de Gueorguievsk, par lequel ils e mettait sous la protection du tsar, qui était reconnu comme souverain légitime de la Géorgie orientale (à laquelle était néanmoins garantie une autonomie interne).

Le 22 décembre 1800, à la demande du roi de Géorgie, George XII, le Tsar Paul 1er de Russie signe l’annexion volontaire  du Royaume de Kartlie-Kakhétie à la Russie.

Durant l’été 1805, malgré l’aristocratie locale, hostile à l’annexion, l’armée russe remporte une victoire décisive en repoussant une attaque des Perses (la bataille de la rivière Askerani). Cinq ans plus tard, les troupes du Tsar Alexandre 1er englobent également le royaume d’Iméréthie, à l’ouest de la Géorgie.

Durant les décennies suivantes, les Russes mènent de nombreuses guerres contre les Turcs et les Perses et étendent considérablement les frontières de la Géorgie avec la conquête de l’Adjarie, des villes de Lomse et de Poti, et de l’Abkhazie.

Après la Révolution russe de 1917 et l’arrivée au pouvoir à Petrograd des sociaux-démocrates bolcheviks, de nombreuses régions de l’Empire dirigées par les menchéviks, déclarent leur indépendance : la Finlande, les États baltes, la Biélorussie, l’Ukraine et les pays transcaucasiens qui de ce fait, sans oublier les nombreuses et provisoires formations politiques créées par les “blancs”, les contre-révolutionnaires tsaristes.

Peu de ces déclarations d’indépendance étaient motivées par un véritable esprit national présent au niveau populaire, esprit national qui était d’ailleurs généralement absent de la culture des classes dirigeantes locales : de fait, après la Révolution de février, le corps de l’ancien Empire russe n’avait pas été touché.

Ce qui l’a fait exploser et éclater en morceaux fut la violente prise de pouvoir par les bolcheviks qui occupèrent la capitale, Petrograd, en novembre 1917 et qui, début 1918, firent dissoudre de force l’Assemblée constituante qui venait d’être élue, puisque leurs représentants s’y trouvaient en nette minorité.

C’est alors que ces forces politiques, ayant perdu le pouvoir en Russie, prirent leur revanche contre les bolcheviks en proclamant l’indépendance des régions périphériques qu’elles avaient sous leur contrôle.

De ces gouvernements séparatistes éphémères, celui de la Géorgie fut considéré comme le plus stable et le plus efficace du point de vue administratif, même si la “République Démocratique de Géorgie” n’était en fait qu’un protectorat de la Grande-Bretagne (qui avait pris des mesures militaires contre les bolcheviks, comme l’avaient fait aussi les autres puissances de l’Entente). Durant sa courte existence, le gouvernement menchévik géorgien se démarqua également par son agressivité : il entra d’abord en guerre contre l’Arménie pour la conquête de certains territoires ethniquement mixtes, puis il attaqua l’armée blanche de Moïsseïev et de Denikine afin d’étendre les frontières de la Géorgie vers Sotchi (qui est aujourd’hui une station balnéaire russe sur les bords de la Mer Noire). Ce qui ne fit que les affaiblir pour la confrontation finale avec les bolcheviks qui, entre-temps, avaient mis fin à la guerre civile et s’étaient attelés à regagner les régions séparatistes : en février 1921, l’Armée Rouge entra en Géorgie et prit, en quelques jours, le contrôle des Mencheviks et de la république pro-britannique, incorporant le pays dans l’URSS naissante (d’abord dans la République transcaucasienne soviétique puis, en 1936, dans la République Socialiste Soviétique de Géorgie, une des trois RSS).

Quand le dirigeant des bolcheviks et le Président de la Russie, Vladimir Ilitch Oulianov (plus connus sous le nom de Lénine) meurt après une longue maladie, c’est un Géorgien qui lui succède : Joseph Vissarionovitch Djougachvili, né à Tbillissi (alors Tiflis), qui restera dans l’histoire sous le nom de Staline, l’homme qui tint les rênes du pouvoir de la Russie pendant plus de 30 ans.

Un demi-siècle plus tard, l’incroyable et courte histoire de l’Union Soviétique prit fin.

La Géorgie déclara son indépendance le 9 avril 1991 et son premier Président (élu en 1990 quand le pays faisait encore partie de l’URSS) fut Zviad Gamsakhourdia, un ancien et célèbre dissident pendant l’époque communiste.

L’indépendance proclamée avec le slogan “la Géorgie aux Géorgiens” ne pouvait que préoccuper les nombreuses minorités ethniques vivant autour de l’entité administrative de Tbilissi, que Gamsakhourdia et ses sympathisants nationalistes considéraient à tort, comme un bloc national monolithique. En particulier, les régions d’Adjarie et d’Abkhazie (qui furent annexées à la Géorgie par les Russes qui les avaient soustraites aux Turcs) ainsi que l’Ossétie du Sud (dont les habitants sont semblables à ceux de la province russe de l’Ossétie du Nord) réclamèrent le même droit à l’indépendance que Tbilissi (et sa mise en oeuvre immédiate). Déjà en 1989, l’Ossétie du Sud, une province autonome de la République Socialiste Soviétique de Géorgie, fut la scène de violents combats opposant les Ossètes, loyaux à Moscou, et les Géorgiens, nationalistes.

Le Conseil Régional d’Ossétie décida de déclarer la sécession avec la République Socialiste Soviétique de Géorgie mais celle-ci riposta en levant le statut d’autonomie de l’Ossétie, ravivant ainsi les combats.

Ces récents conflits fratricides en Géorgie n’étaient pas qu’interethniques mais aussi politiques : le 6 janvier 1992, le gouvernement dirigé par Gamsakhourdia fut renversé par un coup d’État sanglant et qui ne fut pas du tout rapide, puisqu’il durait déjà depuis presque deux semaines.

Gamsakhourdia trouva refuge en Tchétchénie (après un court séjour en Arménie) sous le gouvernement rebelle du Général Djokhar Moussaïevitch Doudaïev.  Les meneurs du coup d’État nommèrent un nouveau président, en la personne de l’ancien Ministre des Affaires étrangères Soviétique au temps de Gorbatchev, Édouard Chevardnadze. Les combats entre les sympathisants du nouveau Président et les partisans du précédent durèrent pendant deux ans. Puis en septembre 1993, une guerre soudaine éclata entre l’armée géorgienne et les Abkhazes qui refusent, encore aujourd’hui, de se soumettre à l’autorité de Tbilissi, étant donné qu’ils représentent la majorité dans la partie nord-ouest du pays. Les combats furent terribles et les Abkhazes réussirent à repousser les troupes de Tbilissi et à chasser des milliers de Géorgiens qui vivaient en Abkhazie. Gamsakhourdia sauta sur l’occasion et, dès la fin septembre 1993, il retourna dans son pays entraînant ses partisans armés à tenter une révolte. L’insurrection semblait en bonne voie mais Chevardnadze, en autorisant la Géorgie à rejoindre la Communauté des États Indépendants, reçut le soutien des pays voisins, et surtout de la Russie qui lui fournit des hommes et des armes : dès le mois de novembre, les rebelles étaient vaincus et le mois suivant, leur dirigeant, Gamsakhourdia, mourut dans des circonstances qui n’ont jamais vraiment été élucidées.

Pendant ce temps, la longue période de troubles et de combats fratricides avait coûté très cher à la toute nouvelle République de Géorgie : comme l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud avait réussit à obtenir son indépendance. Aussi bizarre que cela puisse paraître, de nombreux séparatistes tchétchènes ont combattu pour la liberté des Abkhazes tandis que l’aide des Russes avait été cruciale pour les Ossètes du Sud.

La “Révolution des Roses” : Saakachvili, Président de Géorgie

Au cours de la décennie qui suivit, le Président Chevardnadze reçut deux fois la reconnaissance de son peuple, en gagnant les élections de 1995 et de 2000. Les élections qui eurent lieu le 2 novembre 2003, et qui furent prétendument truquées selon les médias et les organisations pro-US, furent le détonateur d’un nouveau remaniement politique violent, dénommé “Révolution des Roses”. Chevardnadze a souvent répété que ceux qui voulaient et ont mené ce coup d’État, étaient les USA ; et, inutile de dire que l’ex-Président géorgien ne peut pas être suspecté d’anti-américanisme. Il suffit par exemple de rappeler que, lorsqu’il était Ministre des Affaires étrangères de Russie, au cours d’une réunion avec les USA, il demanda au Président usaméricain de l’époque, George H. W. Bush, quelle politique étrangère il suggérait à l’URSS, car il souhaitait abandonner toute ambition de défense des enjeux nationaux. Cependant, en tant que Président de la Géorgie, Chevardnadze s’avéra être trop indépendant et, surtout, trop enclin à garder de bonnes relations avec Moscou.

Il est probable que c’est à cause de cela, que les USA manigancèrent une des “révolutions de couleur” les plus réussies, mettant au pouvoir un dirigeant raciste et un nationaliste clairement anti-russe : le nouveau Gamsakhourdia s’appelle Mikhaïl Saakachvili, un juriste formé dans les universités usaméricaines. Saakachvili, Ministre de la Justice sous le gouvernement de Chevardnadze, était connu pour sa politique de répression brutale (notamment lors de l’insurrection de Gamsakhourdia et dans le combat contre les tendances séparatistes). Devenu Président, malgré ses discours incessants sur la “démocratie”, Saakachvili ne s’est pas montré plus respectueux des droits civiques de son peuple : nommé avec un pourcentage de voix “à la bulgare” (96 % des votes en 2004), il a souvent accusé ses opposants d’être des criminels ou des espions au service de la Russie, et les a traités en conséquence.

Après s’être emparé du pouvoir, Saakachvili a purgé la classe dirigeante géorgienne par des arrestations de masse aussi bien d’anciens ministres du gouvernement de Chevardnadze (c’est-à-dire ses anciens collègues dans le gouvernement qu’il avait quitté en polémique avec eux) que de simples représentants de l’administration locale. En 2004, un groupe d’intellectuels géorgiens écrivit une lettre ouverte pour dénoncer l’intolérance manifestée envers les opposants politiques.

Un cas emblématique de la sinistre situation et de la violence endémique dans la Géorgie de Saakachvili fut le meurtre de Sandro Girgvliani. Dans la nuit du 27 au 28 janvier 2006, ce directeur de banque âgé de 28 ans se trouvait dans un bar à Tbilissi, où il se disputa avec des officiers de haut rang du Ministère de l’Intérieur, qui célébraient l’anniversaire de l’un d’entre eux, l’inspecteur général Vasil Sanodze.

Girgvliani et son ami, Levan Buchaidze, après avoir quitté le bar, furent poussés dans une Mercedes et conduits en périphérie de la ville : Buchaidze réussit à s’enfuir mais Girgvliani fut battu à mort et son corps fut retrouvé le lendemain matin.

L’enquête de la chaîne de télévision géorgienne “Imedi” réussit à faire la lumière sur l’affaire, dénonçant les responsabilités du Ministère de l’Intérieur. Les auteurs présumés du meurtre furent arrêtés et condamnés de sept à huit ans d’emprisonnement, cependant le commanditaire reste toujours impuni et en dépit des protestations populaires, tous les officiers de haut rang du Ministère conservèrent leurs charges. Badri Patarkatsichvili, propriétaire de la chaîne de télévision “Imedi” qui, non seulement, avait dénoncé les responsabilités des autorités dans l’affaire Girgviliani mais également d’autres affaires similaires, subit plusieurs contrôles fiscaux et des pressions politiques pour l’inciter à restreindre son rôle de journaliste indépendant.

Irakli Okrouachvili, ancien Ministre de la Défense de la Géorgie, accusa son ancien allié politique, Saakachvili, de vouloir attenter à la vie de Patarkatsichvili qui, entre-temps, avait fait son entrée en politique en tant qu’opposant au Président : deux jours plus tard, Okrouachvili fut arrêté pour corruption et blanchiment d’argent, et c’est seulement après avoir retiré ses accusations contre Saakachvili qu’il fut relâché. Expulsé, il trouva asile en France et le 5 novembre 2007, il passa sur la chaîne de TV “Imedi” où il confirma l’authenticité de ses accusations contre Saakachvili, en expliquant son revirement à cause de l’emprisonnement forcé qu’il avait subi. Quelques mois plus tard, il fut déclaré coupable en jugement définitif par la justice géorgienne, la même qui s’était abstenue d’enquêter sur la conspiration de meutre présumée de Saakachvili contre Patarkatsichvili. Incidemment, le 12 février 2008, Badri Patarkatsichvili fut retrouvé mort dans sa résidence britannique, quelques heures après avoir eu une réunion avec Boris Berezovski, un homme de l’oligarchie russe et un ennemi implacable de Poutine. L’homme d’affaires géorgien qui n’avait que 50 ans et qui n’avait jamais souffert d’aucun problème cardiaque, est mort d’une crise cardiaque. La police locale a classé l’affaire comme “suspecte”.

Saakachvili a régulièrement utilisé une main de fer contre toute opposition.

Pendant le deuxième semestre 2007, le gouvernement réprime les manifestations parrainées par ses adversaires politiques : le 7 novembre, après des attaques répétées de la part de la police, un groupe de manifestants décide de résister à la violence institutionnelle et c’est ainsi que les combats se mettent en place. Saakachvili profite du prétexte pour proclamer l’état d’urgence pendant presque 10 jours tout en imposant, entre autres la censure aux médias nationaux.

Cependant, les protestations massives forcent Saakachvili à reculer et à faire face, en janvier 2008, à un nouveau test électoral : il le remporte, avec néanmoins de fortes critiques à la fois de l’OSCE, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe  (en général, plus indulgente envers les candidats soutenus par les USA) et de l’opposition, qui dénoncent des sondages d’opinion truqués de façon systématique et manipulés.

Mikhaïl Saakachvili n’a jamais oublié le soutien crucial des USA dans sa violente prise de pouvoir. Durant ses mandats, il a toujours été leur loyal allié, se distinguant également par son nationalisme, cause d’actions impulsives et par sa phobie viscérale envers la Russie, sentiment après tout, largement partagé par ses compatriotes. L’objectif principal de Saakachvili est de faire entrer la Géorgie dans l’OTAN et il a envoyé un nombre considérable de troupes pour accompagner les USA dans toutes les zones de combat et d’occupation, en Irak, en Afghanistan et au Kosovo. Cependant, même si les troupes géorgiennes sont en garnison au Kosovo afin de garantir la liberté des minorités ethniques locales, indépendantes de la Serbie, Saakachvili n’a jamais reconnu ce même droit à “ses” minorités avides d’indépendance comme l’Adjarie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. En effet, “faire l’unité nationale” a toujours été une des priorités de son agenda politique. L’Adjarie, contrairement aux deux autres régions, n’a jamais fait la guerre contre la Géorgie afin d’obtenir son indépendance qu’elle n’a d’ailleurs pas officiellement revendiquée : cependant, durant la période de convulsions sous de Chevardnadze, elle devint indépendante de facto. Mais au début 2004, à peine nommé Président lors du coup d’État de la “Révolution des Roses” et  menaçant d’utiliser la force militaire, Saakachvili força l’Adjarie à se soumettre à l’autorité de Tbilissi, en la privant, entre autres choses, de son autonomie traditionnelle. A Batoumi, capitale de l’Adjarie, se trouvait la 12ème base navale russe, une des dernières structures soviétiques héritées de Moscou, en dehors de son territoire national. Après de nombreux mois de tensions, Tbilissi et Moscou parvinrent à un accord et les Russes cédèrent la base en novembre 2007, un an plus tôt que prévu. La Fédération de Russie opposa peu de résistance dans la défense de l’Adjarie, et guère plus pour sa base à Batoumi, celle-ci se trouvant trop éloignée de son propre territoire et n’étant pas importante, d’un point de vue stratégique. Les choses se passèrent autrement quand Saakachvili, encouragé par ce premier succès, tenta la même action avec l’Ossétie du Sud.

Cette région, que la population locale appelle Xussar Iryston (Ioujnaïa Ossetiïa en russe) est directement limitrophe avec la Fédération de Russie et, est notamment voisine d’une province sœur du point de vue ethnique, la République d’Ossétie du Nord. Bien que les Ossètes qui descendent des Alains, soient un peuple ethniquement très différent des Russes (ils sont indo-iraniens), ils ont été, pendant l’ère post-soviétique, les alliés fervents de Moscou dans la zone du Caucase du Nord. Au début des années 1990, tandis que les Ossètes du Sud combattent violemment les Géorgiens pour ne pas se soumettre à la Géorgie devenue récemment indépendante, les Ossètes du Nord affrontent les Ingouches, alors majoritaires dans le district de Prigorodny et politiquement très proches des rebelles tchétchènes. Les Ingouches furent quasiment chassés de la région qui était repeuplée par les réfugiés d’Ossétie du Sud fuyant les actions violentes des Géorgiens.

La rivalité entre les Ossètes et les combattants tchétchènes ne s’est cependant jamais apaisée, comme l’a démontré, de façon tragique, le massacre des enfants ossètes, mené par les rebelles tchétchènes de Chamil Bassaïev à Beslan, en Ossétie du Nord, en 2004.

Lorsque Saakachvili devient Président, l’Ossétie du Sud a vécu en paix depuis environ une décennie.  En effet, en 1992, Tbilissi, Moscou et Tskhinvali (la capitale de l’Ossétie du Sud) avaient signé un cessez-le-feu, introduisant dans la région une force de maintien de la paix composée de troupes géorgiennes, russes et ossètes.

En 2004, après avoir assujetti l’Adjarie, Saakachvili fit encore monter la tension d’un cran avec l’Ossétie du Sud : cependant, pendant des années, l’affrontement n’est pas allé au-delà d’une guerre “furtive” et “sale”, constituée de rapts, d’attaques à la dynamite et d’échanges de tirs occasionnels entre milices adverses.

L’explosion du conflit

En été 2008, la Géorgie marque un bond en avant dans son activisme guerrier. Et si elle s’était limitée, jusque-là, à promouvoir des affrontements frontaliers occasionnels et à mener une diplomatie fortement anti-russe (il suffit de rappeler l’alliance étroite avec l’Ukraine de Iouchtchenko et de Timochenko, les tentatives de candidatures à l’OTAN, la construction du gazoduc BTC – Bakou-Tbilissi-Ceyhan- conçu pour tenir la Russie à l’écart du commerce des ressources d’hydrocarbures de la Mer Caspienne), ces derniers temps, Tbilissi a multiplié les provocations avec la claire intention de faire éclater une guerre. Il est difficile d’imaginer quels projets, Saakachvili et son équipe, ont eu dans le passé et quels sont ceux qu’ils auront dans l’avenir : peut-être de surmonter la crise politique intérieure en orientant le peuple vers un ennemi extérieur, ce qui le rapprocherait de leur Président ; peut-être espèrent-ils s’emparer de l’Abkhazie et de l’Ossétie au travers de guerres-éclair sans donner à Moscou la possibilité de réagir ; ou bien le but était et est peut-être vraiment de mêler Moscou à une nouvelle guerre du Caucase et ainsi, à la fois, d’user son appareil militaire et de noircir son image internationale à l’aide de la lourde propagande menée par les USA.

Ce qui est évident, quand on connaît l’alliance étroite qui existe entre Tbilissi et Washington, est que les USA ont dû jouer un rôle fondamental dans l’éclatement de la crise : du moins, ils n’ont pris aucune mesure pour empêcher Saakachvili de déclencher cette guerre. Cependant, tenons-nous en précisément à la chronologie des faits.

Afin d’éviter de revenir sur des événements et des batailles plus anciens, nous avons fixé le point de départ  au 20 avril de cette année, date à laquelle, selon les autorités géorgiennes, un de leurs drones (un aéronef piloté à distance, qui faisait partie d’un lot acheté à une société privée israélienne, avec le feu vert du Ministère de la Défense israélien) fut abattu dans l’espace aérien de l’Abkhazie, par des avions russes. Par conséquent, Tbilissi demanda une compensation à Moscou qui, au lieu de cela, démentit l’incident. La tension dans la région était déjà très forte car la Géorgie avait commencé à regrouper des troupes le long de la frontière avec la région séparatiste, notamment dans la zone contestée des Gorges de Kodori.

Le 29 mai, une bombe dissimulée dans une voiture explosa à Tskhinvali pendant les cérémonies de l’indépendance, blessant six passants : le Président ossète mit la responsabilité de l’attaque sur le dos du gouvernement géorgien. Le 31 mai, 300 soldats russes sans armes entrèrent en Abkhazie, à la demande du gouvernement local, afin d’aider à construire un système ferroviaire alors, qu’en même temps, Moscou augmentait le nombre de ses troupes des forces de maintien de la paix dans la province (en réponse à la mobilisation géorgienne) mais sans toutefois dépasser le nombre maximum fixé par le traité (qui est de 3 000 soldats) : ce qui amena les Géorgiens à s’élever contre “l’occupation de l’Abkhazie”, soutenus par l’Union Européenne qui exigea des Russes qu’ils retirent les troupes complémentaires.

Le 17 juin, sur la frontière ossète, les troupes géorgiennes arrêtèrent quatre soldats de la paix russes, accusés de trafic d’armes : ils furent relâchés après neuf heures d’interrogatoire.

Pendant ce temps, des drones commencèrent à  nouveau à voler au-dessus de l’Abkhazie, même si Tbilissi le démentit à nouveau. Le jour suivant, deux explosions eurent lieu le long de la voie ferrée à Soukhoumi, la capitale abkhaze, la cible étant, selon les enquêteurs, les troupes russes qui s’y étaient déployées. Le 29 juin, deux nouveaux attentats à la dynamite eurent lieu, cette fois à Gagri, la ville côtière d’Abkhazie : il y eut deux blessés. Deux jours plus tard, une explosion au marché de Soukhoumi faucha plusieurs civils. Les attaques répétées amenèrent les autorités abkhazes à fermer la frontière avec la Géorgie, considérée comme responsable des attaques terroristes. Le 4 juillet, pendant la nuit, la capitale ossète, Tskhinvali (à la frontière avec la Géorgie) fut brièvement bombardée par l’artillerie géorgienne (au moins 15 tirs de mortiers selon les témoins) : 3 personnes perdirent la vie et 11 furent blessées. L’incident fut confirmé, à la fois par les forces du maintien de la paix russes et par les émissaires de l’OSCE, cependant les Géorgiens ne donnèrent pas d’explication ; en réponse, Moscou qualifia le fait d’ “acte d’agression délibéré”, et quelques jours plus tard, elle commença des manœuvres militaires dans le Caucase du Nord. Le Président d’Abkhazie, M. Sergueï Bagapch prétendit que, grâce à ses services secrets, il avait mis la main sur un plan d’invasion de l’Abkhazie par la Géorgie qui, entre-temps, avait regroupé 12 000 soldats aux frontières, dont 2 000 pour les seules Gorges de Kodori.

Le 7 juillet, une nouvelle bombe choqua à nouveau l’Abkhazie : quatre personnes furent blessées par une explosion dans un café et les autorités locales n’eurent plus de doute quant à la responsabilité des forces de sécurité géorgiennes. Le jour suivant également, l’Ossétie du Sud protesta contre les aspirations expansionnistes de Saakachvili : la preuve étant, selon eux, que l’évacuation de milliers de Géorgiens vivant en Ossétie du Sud avait déjà commencé à Tbilissi.

Le 9 juillet, c’était au tour de la Géorgie de dénoncer une attaque contre un de ses avant-postes, le long de la frontière avec l’Abkhazie, une opération menée par une dizaine d’hommes armés mais sans faire de victime.  Curieusement, le même jour, les Abkhazes affirmèrent avoir subi une attaque identique à un de leurs avant-postes.

Dans la première partie du mois de juillet, les combats semblaient plutôt se concentrer sur l’Abkhazie que sur l’Ossétie du Nord et le Président abkhaze, M. Sergueï Bagapch, se précipita à Moscou pour demander l’aide des Russes ; là-bas, il rencontra également son collègue d’Ossétie du Sud, le Président Edouard Kokoïty. Entre-temps, la Secrétaire d’État US, Condoleeza Rice était arrivée à Tbilissi : l’envoyée de Washington exprima son soutien sans réserve à la politique guerrière de Tbilissi tout en mettant en garde Moscou d’essayer de défendre la liberté des Abkhazes et des Ossètes. Le 10 juillet, la Géorgie rappela son propre ambassadeur basé à Moscou, officiellement à cause de “l’outrage perpétré par la politique agressive russe”. Le Ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, tenta de restaurer le dialogue tout en requérant, au préalable, l’évacuation des troupes géorgiennes déployées dans des combats, dans les Gorges de Kodori ; la réponse de Tbilissi fut une litanie de la même vieille rhétorique anti-russe, accusant Moscou d’“agression” présumée et la fin de toute négociation (l’Abkhazie et l’Ossétie étant clairement définies, sans aucune discussion possible, comme les “parties inaliénables de la Géorgie”). Les Géorgiens opposèrent un net refus à la proposition de Lavrov d’engager des pourparlers à Moscou, préférant utiliser le mois de juillet pour des manœuvres militaires communes avec les troupes usaméricaines, azerbaïdjanaises et ukrainiennes et pour établir un décret présidentiel, approuvé par le parlement, afin d’augmenter de 5 000 unités le nombre de recrues, portant ainsi les effectifs des forces armées de Tbilissi à 37 000 soldats.

Le 16 juillet, la 76ème division russe de l’armée de l’air arriva dans le Caucase du Nord, officiellement pour prendre part aux manœuvres militaires qui, au total, engagèrent 8 000 hommes, 700 véhicules de combat et 30 embarcations. Tandis que le Président Saakachvili rejetait l’idée d’un accord de non-agression parrainé par Moscou avec la Géorgie et l’Abkhazie, Soukhoumi, de son côté, refusa le plan de médiation proposé par les Allemands, qui remettait en doute le statut d’indépendance de l’Abkhazie. La semaine suivante, il y eut une succession de nouveaux incidents entre la Géorgie (toujours active) et l’Ossétie du Sud : quatre Ossètes arrêtés par la police géorgienne ; violation de l’espace aérien ossète par l’armée de l’air géorgienne ; enfin, le 29 juillet, les troupes géorgiennes ouvrirent le feu sur deux villages ossètes.

La nuit du 1er au 2 août, des échanges de tirs se produisirent le long de la frontière entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud, avec au moins 6 morts et 15 blessés parmi les Ossètes et 10 victimes parmi les Géorgiens (mais les Ossètes revendiquèrent la mort de 29 soldats géorgiens) : ces événements marquèrent le début de la guerre actuelle, même si le 7 août, une trêve officielle était proclamée par les deux camps. Cependant, elle fut rompue quelques heures plus tard par les Géorgiens qui lancèrent leur attaque.

Avant d’analyser attentivement les détails du conflit, examinons la série de faits que nous avons schématiquement relatés jusqu’à présent et qui incarnent le prélude à la guerre, dans son ensemble. Ce que nous observons est la concentration évidente des troupes géorgiennes aux frontières avec l’Abkhazie et l’Ossétie, accompagnée de provocations constantes qui vont de la rhétorique guerrière aux obus de mortier, jusqu’aux attaques terroristes directes (les autorités locales d’Abkhazie accusent Tbilissi d’avoir lancé les bombes qui ont touché la région).

En face, la réaction est la mobilisation des forces séparatistes dans les deux régions ainsi que le regroupement des troupes russes dans le Caucase à la fois du Nord et du Sud.

A cet endroit, nous devons revenir à l’hypothèse formulée au début du paragraphe concernant les objectifs cachés des dirigeants géorgiens. Si le projet de Tbilissi était de s’emparer de l’Abkhazie et de l’Ossétie au travers d’attaques rapides et soudaines, afin d’anticiper les réactions russes, alors nous ne pourrions que conclure que tout cela a été organisé et conduit de la pire manière possible : les préparatifs beaucoup trop visibles et les provocations incessantes ne pouvaient qu’attirer l’attention des ennemis qui, d’ailleurs, étaient assurés de repousser l’offensive géorgienne dès son déclenchement. D’autres hypothèses sont également envisageables selon les différentes approches que l’on a du conflit. Par exemple, Tbilissi peut avoir essayé de provoquer les Russes en les poussant à effectuer les premières attaques pour ensuite jouer la victime et obtenir ainsi le soutien international. En fait, ceci ne s’est pas trop bien déroulé puisque les Géorgiens eurent à lancer la première attaque et c’est seulement grâce à la lourde et efficace machine de propagande des USA qu’ils réussirent à faire pencher, à leur avantage, l’opinion publique aux USA et en Europe Occidentale. En tout cas, il reste à savoir si la diplomatie de l’OTAN peut vraiment forcer les Russes à évacuer l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, laissant ces deux régions à la merci de Tbilissi. Cette éventualité paraît extrêmement peu probable, étant donné que Moscou jouit d’un droit de veto au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Des pressions économiques seraient sans doute plus efficaces, cependant il est difficile d’imaginer que Moscou accepte un accord, à son détriment, sur le statu quo d’un conflit qu’elle est certainement en train de gagner.

On peut penser que Tbilissi a surestimé (du moins, au vu des considérations susmentionnées) sa propre puissance militaire, pensant peut-être, être capable d’écraser les défenses abkhazes, ossètes et russes ; ou du moins, être capable de conduire les Russes à pénétrer sur ses territoires et ainsi les affronter dans une guérilla. Mais, dans ce cas, M. Saakachvili poursuivrait des objectifs divergents des intérpets du pays dont il a la charge.

Dans tous les cas, les Géorgiens donnent l’impression d’avoir perdu le contrôle de la situation. Il semble qu’ils ne se soient pas attendus à une réaction aussi massive et déterminée de Moscou et qu’ils aient placé trop d’espoir dans l’efficacité de leur propre machine militaire et dans une intervention plus vigoureuse et plus rapide de la part de la diplomatie atlantiste (et peut-être aussi dans un plus grand soutien militaire).

La guerre

Début août, plusieurs tirs se produisirent le long de la frontière entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud, tandis que des soldats volontaires russes commençaient à se rassembler dans la région séparatiste. Durant la nuit du 7 au 8 août, après quelques jours de préparatifs avec des obus de mortier sur Tskhinvali et les villages alentours, les troupes géorgiennes lancèrent l’offensive contre la capitale d’Ossétie du Sud. Tskinvali, à l’extrême sud de l’Ossétie, est situé à seulement 5 kilomètres de la frontière géorgienne, le long de la principale route de la région qui, depuis la ville géorgienne de Gori, traverse l’Ossétie du Sud et conduit au tunnel de Roki  qui peut être considéré comme l’unique jonction avec la Fédération de Russie. L’attaque contre la capitale ossète fut exécutée avec l’infanterie et les blindés tandis que des avions d’attaque Su-25 géorgiens bombardaient le village de Kvernet (et même un convoi humanitaire, selon les Ossètes).

L’armée géorgienne progressa rapidement, de 10 km à l’intérieur de l’Ossétie, le long de trois fronts : à la frontière orientale de l’Ossétie du Sud, sur le corridor de Tskhinvali dans le sud et sur un point saillant à l’ouest ; donnant l’impression d’une manoeuvre en tenaille.

Cependant, l’offensive s’arrêta à la capitale ossète : les troupes séparatistes résistèrent par des combats violents de maison en maison, durant lesquels Tskhinvali subit de nombreux dégâts et des victimes civiles (des milliers) : il est important de rappeler que la plupart des habitants d’Ossétie du Sud ont la nationalité russe. Le Parlement d’Ossétie du Sud et deux ou trois casernes des forces du maintien de la paix russes sautèrent également : environ dix soldats russes furent tués et le Premier Ministre russe, Vladimir Poutine, depuis Beijing, annonça une riposte.

La riposte fut immédiate : tandis que l’aviation russe commençait à bombarder Gori, le premier gros centre sur la route de Tskhinvali (une distance de 30 km entre les deux villes), les unités de la 58ème armée (comprenant environ 100 chars et une artillerie lourde) entrèrent en Ossétie du Sud : le jour suivant, le Président Medvedev, lui aussi, annonça officiellement la contre-offensive russe.

Le 9 août, les troupes géorgiennes furent repoussées de Tskhinvali qui avait déjà souffert d’immenses pertes matérielles et humaines, malgré la brièveté des combats.

Quelques-uns des 35 000 réfugiés ossètes qui ont fui en Russie ont signalé des atrocités perpétrées par les Géorgiens : des snipers ouvrant le feu délibérément sur des gens sans défense, des villages entiers incendiés, des bombardements sur des cibles civiles, des chars écrasant délibérément des enfants. Ces témoignages ont conduit Poutine et Medvedev à dire qu’ils avaient à faire, de la part des Géorgiens, à une tentative  de génocide contre les Ossètes.

Entre-temps, la contre-offensive russe prit de l’ampleur : des troupes de parachutistes atterrirent près de Tskhinvali, portant à 10 000 le nombre des effectifs dans l’opération, alors que l’armée de l’air commençait à marteler de nouvelles cibles, notamment Poti, une ville portuaire le long de la Mer Noire où la Géorgie recevait, apparemment, de l’approvisionnement militaire d’Ukraine.

On dit que les pertes dans l’armée de l’air russe s’élèvent à quatre avions, bien que les Géorgiens prétendent en avoir abattu une vingtaine. Des avions usaméricains ramenèrent en Géorgie, un contingent de 2 000 hommes que Tbilissi avait envoyés en Irak. Le 10 août, une partie de la flotte russe dans la Mer Noire, y compris le croiseur Moscou, après avoir pris la mer depuis la base de Sébastopol, parvint à la frontière avec les eaux territoriales géorgienne (un patrouilleur géorgien équipé d’un lance-roquettes tenta de réagir mais il fut coulé) ; en même temps, les bombardements russes avaient atteint les Gorges de Kodori, favorisant une offensive de la milice abkhaze contre les troupes géorgiennes hostiles. Le 12 août, après avoir libéré l’Ossétie du Sud des soldats géorgiens (la majorité d’entre eux s’étant, semble t-il, rendus aux Russes), Moscou annonça la fin de ses contre-offensives, tout en se réservant le droit d’intervenir à nouveau, en cas de nouvelles attaques géorgiennes contre la région séparatiste. Medvedev déclara : “les objectifs de l’opération ont été atteints : les forces du maintien de la paix et les civils sont maintenant en sécurité. L’agresseur a été puni et a également subi de lourdes pertes.”

Étant donné l’état actuel des choses, il est impossible de prévoir si la trêve va durer ou non. L’hypothèse la plus probable est que le cessez-le-feu pourrait bien être respecté – la Russie a rempli ses objectifs et la Géorgie n’a pas l’intention de prolonger un conflit dans lequel elle est en difficulté – même si, comme les faits récents le prouvent, la région ne sera jamais à l’abri de tensions, d’incidents, de provocations, et demeurera dans un environnement d’instabilité. En réalité, on ne peut pas oublier que l’Abkhazie et l’Ossétie, même si elles ont obtenu un statut d’indépendance de facto, n’ont pas été reconnues en tant que nations, par aucun des pays du monde, pas même par la Russie [entretemps, la Russie a reconnu ces deux entités, NdR]. Déjà, la Géorgie et la Russie s’accusent mutuellement d’avoir rompu le cessez-le-feu, et les Russes restent partisans de la ligne dure : le Ministre des Affaires étrangères, M. Lavrov, a exclu toute négociation que ce soit avec Saakachvili et refuse même le retour au statu quo, considérant qu’il est inconcevable de laisser des troupes géorgiennes, même des forces de maintien de la paix, entrer à nouveau en Ossétie du Sud après l’agression perpétrée, les précédents jours, à la fois, contre les civils ossètes et les compatriotes russes.

En attendant de savoir ce qui va vraiment se passer, nous pouvons tirer une conclusion partielle de ce court conflit ou de cette première partie d’un conflit plus long.

Et pour ce faire, nous avons besoin de prendre en compte à la fois les facteurs militaires et l’importance stratégique des événements et du contexte diplomatique.

A la veille de la guerre, les forces armées géorgiennes pouvaient compter sur plus de 30 000 hommes, les deux tiers dans l’armée de terre. Les chars d’assaut à disposition de Tbilissi étaient au nombre de 200, tous fabriqués par l’Union Soviétique : 40 T-55 et 165 T-72. Le T-55, un char de taille moyenne (35,4 tonnes, un blindage maximum de 203 mm, un canon de 100 mm), est considéré comme le modèle le plus réussi de l’histoire des chars. Il est encore utilisé dans 65 pays même si sa naissance remonte à 60 ans, ce qui représente vraiment sa grande limite.

Le T-72 est le modèle plus récent même s’il date de 1972. Il est plus lourd (45 tonnes) que le T-55, avec un blindage plus épais (250 mm) et avec un meilleur équipement de tir (un canon de 125 mm), il est plus rapide et consomme moins de carburant. Quelles que soient les conditions, le fait est qu’une seule division de l’infanterie motorisée russe aurait été suffisante pour tenir tête à toute l’armée géorgienne. C’est pourquoi Tbilissi aurait dû planifier une guerre-éclair pour l’attaque de l’Ossétie du Sud, afin de pouvoir immédiatement, avant que Moscou ne puisse réagir, occuper Tskhinvali (la capitale et la seule grande ville de la province) et la route principale menant en Russie, tout en atteignant si possible le tunnel Roki  et en le rendant impraticable.

Mission non accomplie puisque, même avant l’intervention russe, les forces ossètes à elles seules suffirent à maîtriser l’avance géorgienne. Il a fallu aux Géorgiens, un bombardement préliminaire avec un BM-21 “Grad” (un lance-roquettes mobile fabriqué en Russie, datant des années 60 et toujours utilisé à cause de son efficacité) et deux vagues successives de soldats d’infanterie et de blindés pour entrer dans Tskhinvali et, même alors, la capitale ossète est parvenue à résister jusqu’à l’arrivée des secours russes. Les mortiers D-30, les canons antichars 100 mm “Rapir” et surtout, les moins perfectionnés des missiles télécommandés 9M113 “Konkurs” fournis à la milice ossète s’avérèrent suffisants et permirent de démolir les nombreux chars obsolètes géorgiens qui gisaient, décorant les rues d’une ville à moitié détruite par le violent bombardement préliminaire.

D’ailleurs, les “Konkurs”, bien que conçus dans les années 60 et entrés en service en 1974, avaient été employés avec succès par le Hezbollah pour se défendre contre les chars israéliens “Merkava”. L’armée de l’air géorgienne est insignifiante et n’a d’ailleurs pratiquement joué aucun rôle dans le conflit : seulement cinq Su-25 (avions d’attaque au sol soviétiques dont la production a commencé en 1981) et quinze L-29 et L-39 (des avions-écoles tchèques fabriqués dans les années 60 et 70 et qui peuvent être utilisés comme des avions d’assaut légers). C’était une force trop faible pour même vaincre la défense anti-aérienne d’Ossétie du Sud. Et en plus, les troupes géorgiennes ne sont pas du tout réputées pour leur entraînement, malgré les efforts de leurs instructeurs usaméricains (officiels) et israéliens (privés) et, en effet, elles sont considérés comme inférieures à leurs adversaires ossètes.

Les Géorgiens auraient donc tenté une attaque éclair, se heurtant pourtant à la résistance ossète et, surtout, à une réaction d’une rapidité étonnante de la part des Russes qui, en l’espace de quelques heures, ont envoyé leurs blindés et leurs parachutistes près de Tskhinvali et ont commencé à bombarder fortement les cibles stratégiques de Géorgie et les troupes qui s’y étaient massées. À cet égard, les préparatifs trop visibles des Géorgiens et leurs constantes provocations contre les Ossètes, les Abkhazes et les Russes se sont révélé être une erreur grossière. La seule raison qui puisse expliquer l’attitude des militaires et des politiques géorgiens est qu’ils espéraient sûrement pousser l’ennemi à attaquer le premier. Même si cela ne s’est pas produit, l’objectif politique a été, en partie, atteint : les alliés usaméricains, en mettant en place leur machine propagandiste et leurs diplomaties alliées, ont réussi à diffuser leur schéma de la Russie-agresseur contre la Géorgie-victime ; alors que l’initiative géorgienne est passée totalement inaperçue, le milieu diplomatique européen a qualifié la réaction de Moscou de “disproportionnée” (la même expression fut utilisée en 2006 pour dénoncer faiblement l’invasion israélienne du Liban). Néanmoins, le droit de veto de la Russie au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies a épargné de graves répercussions pour Moscou. En considération des faits, la “victoire diplomatique” géorgienne semble pour le moment en être juste aux stades préliminaires. Engager la Russie à jouer une part active et belligérante dans le conflit au sujet des deux régions séparatistes, a été important pour la Géorgie, car ceci a porté atteinte au rôle de maintien de la paix que la Russie avait jusqu’alors. Sans surprise, l’Union Européenne a immédiatement accueilli favorablement l’idée selon laquelle Moscou ne serait plus autorisée à agir en tant que médiateur dans le Caucase mais, qu’au contraire, elle devrait recourir à la médiation de Bruxelles dans son affrontement avec Tbilissi. Donc cela dépendra de la détermination dont fera preuve Moscou pour parer aux éventuelles réactions diplomatiques au conflit, en sachant que la Russie est historiquement passée maître dans l’art de gagner les guerres sur le terrain et de les perdre à la table de négociation.

D’un point de vue strictement militaire, le fait est que les Russes ont chassé les troupes géorgiennes d’Ossétie du Sud et ont, en fait, bombardé les infrastructures militaires ou liées à l’armée, de la Géorgie. Les objectifs, d’un point de vue seulement militaires, semblent donc avoir été atteints avec une incroyable rapidité et avec peu de pertes (le rapport officiel dénombre, pour le moment, 18 morts et 152 blessés) : l’attaque géorgienne a été repoussée au-delà de son point de départ (Tbilissi a perdu son contingent positionné en Ossétie du Sud et, apparemment, même la partie septentrionale des Gorges de Kodori) et la capacité de la Géorgie d’organiser une autre attaque a été fortement ébranlée, peut-être même déjouée pour des mois et des années à venir.

Les forces armées russes ont démontré leur rapidité dans le processus de prise de décision au plus haut de l’échelle et dans les réactions, au plus bas ; le seul aspect négatif étant les lourdes pertes dont a souffert l’armée de l’air : compte tenu de la pauvreté des forces aériennes de l’ennemi, perdre quatre avions est indubitablement beaucoup, même si le contrôle incontesté de l’espace aérien a été atteint immédiatement et dans sa totalité. De plus, la contre-offensive russe a amené des avantages politiques à Moscou, même si un petit report dans la conclusion des opérations aurait pu les optimiser.

Tout d’abord, Saakachvili a été déstabilisé. Les Géorgiens peuvent être convaincus que les Russes sont les agresseurs tant qu’ils veulent (du fait qu’ils considèrent l’Ossétie du Sud comme faisant partie du territoire géorgien, la Russie aurait violé leur souveraineté) mais ils n’ignorent sûrement pas que la supposée “agression” russe aurait pu être évitée si leur Président n’avait pas pris des décisions si aventureuses. Par conséquent, Saakachvili devra assumer sa responsabilité dans le déclenchement d’un conflit, perdu de manière ruineuse, même s’il va probablement essayer d’optimiser politiquement le rôle de  “victime” joué par la Géorgie.

Deuxièmement, le prestige des USA – et deuxièmement, celui de l’Union Européenne – a subi un sacré coup dans la région. Aujourd’hui, les faits ont montré combien la balance du pouvoir militaire dans le Caucase penchait indubitablement du côté de Moscou. Washington a réussi à riposter à l’offensive russe par la propagande, par des déclarations fulminantes, par des appels à la solidarité, et ils vont certainement faire de même pour obtenir des dons considérables afin de reconstruire les infrastructures géorgiennes ; cependant, les USA n’ont même pas été capables d’envoyer un seul soldat pour protéger l’allié géorgien prétendument “agressé”, et c’est Moscou qui a mis fin à l’opération, mais après avoir atteint ses propres objectifs.

Le dénouement rapide des opérations militaires effectué par Moscou sera certainement exploité par Washington et Tbilissi pour que ceci ait l’air de dépendre des pressions usaméricaines visant à préserver le prestige de la Maison Blanche dans la région.

La troisième réussite de Moscou est d’avoir remis à plus tard l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN. Si la Géorgie avait été un membre de l’OTAN, aujourd’hui l’Europe et les USA auraient dû, soit s’engager dans la troisième guerre mondiale, soit perdre la face devant le monde entier. C’est la raison pour laquelle l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN a toujours dépendu du règlement des problèmes de l’Abkhazie et de l’Ossétie. Maintenant plus que jamais, ces problèmes sont graves et leurs conséquences éventuelles, évidentes. Paradoxalement, la seule manière pour Tbilissi d’entrer dans l’OTAN, pour le moment, semblerait être l’annexion de l’Abkhazie et de l’Ossétie à la Fédération de Russie : comme dit le proverbe “dent arrachée, douleur envolée”. C’est pourquoi Moscou continuera à tergiverser et à renvoyer aux calendes grecques le règlement du problèmes des deux régions.

Isabelle Rousselot et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.

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